2021

 

Janvier

Il m'a annoncé qu'il partait. Je m'y attendais, je sais que ça lui trottait dans la tête, je sais qu'il en a besoin. Mais ça m'a brisé le coeur en mille morceaux. Je ne m'attendais pas à ce que ça fasse si mal, j'avais presque réussi à me mentir jusqu'ici sur mes sentiments. Presque...

 

Février

Je crois que je me détache. Il est toujours ici, on ne sait toujours pas quand il partira. On se voit un peu moins, je me sens moins en demande. J'essaye de me dire systématiquement, après chacune de nos rencontres, que c'était peut-être la dernière fois qu'on se voyait. J'espère que ça se passera comme ça. Qu'on passera un de nos moments doux et beaux et joyeux sans savoir que c'est le dernier. Je ne veux pas savoir que ce sera le dernier. Parce que malgré tout, ça me fera bien trop de mal.

Je ne supporte plus rien et plus personne, je n'ai plus de patience, je suis vidée de tout.

 

Mars

Tant de sentiments radicalement opposés. Je suis pleine de chagrin mais pleine d'espoir aussi. J'ai le cœur brisé et le cœur recollé aussi. Je lui ai dit au revoir ce soir. Son départ n'est pas encore prévu, on aurait pu continuer à faire les autruches encore un peu. Mais il était temps. J'avais besoin de me libérer de cette relation qui m'a rendue si heureuse mais qui était sans avenir et qui s'arrêtait par la force des choses de toute manière. C'était incroyablement dur, c'est probablement une des choses les plus difficiles que j'ai eu à faire dans ma vie entière, en réalité. Mais il fallait, parce qu'une rencontre a tout changé. Parce qu'il y a de l'avenir peut-être, de l'espoir sans l'ombre d'un doute. Parce que sans parler de choisir l'un ou l'autre, il me fallait enfin me choisir moi-même.

Il part à la fin du mois. Peut-être que ce sera plus évident quand il sera parti, que nos conversations s'essouffleront davantage, jusqu'à cesser complètement. L'idée qu'il ne fasse plus du tout partie de ma vie me semble encore tout à fait étrange et triste, mais elle fait aussi son chemin. Je garderai toute ma vie une tendresse unique pour cet homme qui m'aura tant appris, tant fait rire, et apporté tant en me donnant si peu au fond. Notre histoire se sera construite en silence, sans jamais prononcer de grandes phrases, sans jamais aucune promesse, baignée dans une douceur et un plaisir profond et simple d'être juste ensemble. J'arrive à sourire ce soir en écrivant ces lignes. C'est un sourire mélancolique mais sincère et débordant d'une affection et d'une reconnaissance infinies.

J'ai passé une semaine délicieuse. La rencontre dont je parlais... Il est reparti ce matin, nous avons passé sept jours ensemble. Sept jours à flotter dans une bulle de douceur comme je n'en ai jamais connue. J'ai toujours rêvé qu'on me regarde comme il me regarde, qu'on me touche comme il me touche, qu'on caresse ma joue du bout des doigts ou qu'on passe sa main dans mes cheveux comme il le fait quand il m'embrasse. L'intensité qu'il met dans chacun de ses gestes pour moi me bouleverse complètement. Je n'ai pas de mot pour exprimer mon impatience à retrouver ses bras, sa peau, son rire.

 

Mai

J'ai appris avant-hier que mon père a un cancer. Cette phrase est complètement surréaliste. Je ne sais même pas quoi ajouter. La vie ne laisse finalement que peu de répit, ça se vérifie une fois de plus... Tout allait si bien, tout était si doux. Je suis amoureuse, pleine de projets fous. J'ai visité cette semaine un appartement parfait avec l'homme que j'aime dans un village à 130km de chez moi. Je flottais dans une bulle incroyable de renouveau, d'amour. Et puis cette annonce. Ca ne change rien à ce que je vis, au fond. Mais c'est terrifiant. Même si je sais que ça devrait bien se passer et qu'il n'y a que peu de chances pour que ce soit très grave, c'est un mot qui fait si peur... Le cancer. J'ai toujours redouté d'apprendre quelque chose comme ça. Toujours redouté qu'il soit malade en silence, qu'il préfère ne pas nous en parler. Il l'a fait pendant un mois. Il a vécu ça dans son coin, sans mon soutien, pendant un mois. Pour me protéger, ne pas en rajouter à une période qui était un peu difficile. Alors je ne lui en veux pas, mais je lui en veux quand même. Je suis en colère. Contre la vie, contre le hasard.

Dans à peine plus d'un mois, j'entamerai un nouveau chapitre de ma vie. Je quitterai enfin ce taf qui m'a portée, apporté, appris mais aussi épuisée, poussée à bout et défaite pendant plus de trois ans. Je quitterai aussi cette ville de Lyon que j'ai tant aimée, qui m'a appris la véritable indépendance, qui a mis sur ma route des personnes extraordinaires que je garderai toute ma vie près de moi, en moi. Je suis au bord d'un gouffre, d'un précipice... ou peut-être simplement face à une porte entrouverte qui ne me laisse pas entrevoir assez précisément ce qui se cache derrière. Jamais je ne me suis sentie ainsi, aussi fébrile et anxieuse, et en même temps aussi heureuse et impatiente. J'ai peur comme jamais auparavant, j'ai l'impression de faire une folie. Mais j'ai tellement, tellement hâte de voir ce que la vie me réserve cette fois. J'ai tellement hâte de découvrir autre chose, de construire à nouveau, de trouver les réponses aux questions que je me pose depuis finalement si longtemps. J'ai tellement hâte d'être à ses côtés pour de bon, de voir ce que sera le quotidien qu'on bâtira ensemble. J'ai tellement hâte de me rapprocher de la nature, des forêts, des montagnes. J'ai tellement hâte de vivre autrement, de me sentir nouvelle, de tout reprendre à zéro. J'aurai trente ans à la fin de l'année, et j'ai le sentiment d'entrer enfin dans une vie qui me ressemble et qui m'a attendue tout ce temps. Je suis terrifiée car je laisse derrière moi tout ce qui m'a constituée depuis trois ans, je laisse un cocon confortable et routinier, je laisse mes certitudes, mes habitudes. Je suis terrifiée. Mais j'ai tellement, tellement hâte.

 

Juin

Le temps passe à toute allure. Dans un mois, nous emménagerons dans notre maison près d'Annecy. Nous avons trouvé une perle rare, un corps de ferme rénové, un duplex de plus de 80m2. A 15 minutes du lac, à une poignée de pas de la forêt. Entourée de champs, de montagnes. Il me tarde d'y être. La vie est douce, la vie est si douce.

  

Juillet

Dans 17 jours, nous serons chez nous. Je ne peux pas expliquer à quel point j'ai hâte. L'impatience est immense et prend toute la place. C'est long, de n'être plus vraiment chez moi nulle part, de n'être encore vraiment chez nous nulle part, de vivre entre les cartons et avec l'essentiel de mes affaires dans un sac. Je me languis tant de construire notre quotidien, d'aménager, d'habiter dans le sens le plus profond cette maison qu'on a trouvée. Bientôt.

 

Août

Déjà plus de dix jours que j'ai déménagé. Ca a été éprouvant physiquement, évidemment. Mais le résultat est à la hauteur de mes espérances. Nous avons fait de notre maison un joli foyer qui nous ressemble, c'est doux, chaleureux, original. Je m'y sens bien et je suis tellement heureuse de pouvoir en profiter enfin, maintenant que tout est réglé, installé, que je n'ai plus à vadrouiller nulle part ailleurs que dans mes forêts. Elles sont au bout de la rue, j'y ai fait plusieurs escapades bien sûr. C'est beau. J'ai parcouru tous les chemins, tous les sentiers, j'explore chaque recoin à la recherche de davantage de beauté et je ne suis jamais déçue. Les montagnes sont belles. Dans la lumière du matin, douce, dans la brume aussi, en plein soleil, la tête dans les nuages, dans la lueur rosée du soir. J'ai incroyablement hâte de voir ce paysage sous la neige. Je n'ai pas à l'espérer vainement ici, je sais qu'elle viendra. Ce sera si beau, cette simple idée m'apaise profondément.